(Un texte de
Valérie Lejeune lu à Le Figaro Magazine du 27e Février 2010)
Un beau jour de
l'an 1010, Eilmer de Malmesbury, moine en l'abbaye du même nom, située à
J'ouest de Londres, se jeta du haut d'une des tours de son monastère, les pieds
et les mains assujettis à des ailes de sa fabrication. Cet équipement lui permit
de planer une quinzaine de secondes avant de s'écraser 200 mètres plus loin et
de se briser les deux jambes.
Ce beau jour de
février 2010, James Dyson, ingénieur et propriétaire de la société du même nom,
sise à Malmesbury, gare sa Fiat 500 bleue sur le parking du très moderne centre
de design, où il va régler les modalités de commercialisation, en Europe, de l’Air
Multiplier, ventilateur révolutionnaire sans pales qui sortira eu France dans
quelques jours. Si dix siècles séparent le religieux de l'industriel, les deux
hommes ont en commun le même amour de l'air et la conviction qu'un entêtement
suffisant permet d'arriver à tout. L'histoire ne dit pas si la ténacité de
l'homme d'Eglise fut à nouveau sollicitée : on rapporte que son père prieur lui
interdit formellement toute tentative d'élévation autre que spirituelle. Mais
on sait, en revanche, que rien ni personne ne put jamais dissuader Dyson, le père
de l'aspirateur sans sac, de donner libre cours à son inventivité.
Flash-back sur
l'enfance d'un petit gamin blond qui court dans les dunes de Blakeney Point, dans
le Norfolk, pour muscler des jambes de faucheux Papa, prof de lettres
classiques, est parti pour l'autre monde, maman peine à joindre les deux bouts.
Pour l’aider, le benjamin passe l'aspirateur... et trouve que « ça pue» !
Vingt ans plus tard, après des études au Royal College
of Art et un début de carrière passé à inventer avec son compère Jeremy Fry un
bateau à fond plat capable de transporter de lourdes charges à grande vitesse,
ou une brouette tout-terrain baptisée Ballbarrow, le jeune James s’est marié.
Pour aider sa femme, la rousse et belle Deirdre, fort occupée par leurs trois
enfants, il passe l'aspirateur. Il trouve toujours que ça sent mauvais, mais
déplore également que ça n'aspire pas bien. Un jour de pluie, il dissèque le
sac à poussière de la machine et découvre que, vide ou plein, cet accessoire empêche
le bon fonctionnement de l'appareil. Mais par quoi le remplacer? Dans l'usine que
fabrique la Ballbarrow, des techniciens confrontés à l'aspiration de poussière
de peinture rêvent d'utiliser un cyclone. Dyson se souvient alors qu'à quelques
encablures de là une petite scierie porte sur son toit un tel dispositif.
Il passe une
partie de la nuit, sous les étoiles, à croquer le grand cylindre, puis fabrique
avec des feuilles de métal de quoi équiper ses ateliers. Et, tout à coup, tout
lui revient : ses heures de ménage, la frustration du travail mal fait... Et si
je fabriquais un petit cyclone pour mon aspi, se demande Dyson, loin de
s'imaginer qu'une telle miniaturisation allait, avant de faire sa fortune, lui
apporter des ennuis majuscules.
L'oncle Paul des «
Belles Histoires » qui faisaient nos délices dans Spirou aurait pu mettre Dyson
sur la liste de ceux qu'il portraiturait. Ni Palissy et ses meubles brûlés sur
l'autel de la céramique ni Denis Papin, don t la première machine à vapeur, montée
sur une embarcation, fut détruite par des bateliers jaloux, ne désavoueraient
un tel voisinage : de 1979 à 1994, le nombre de couleuvres qu'avala l'Anglais pourraient
peupler le plus grand terrarium du monde.
La méfiance, la
peur de devoir partager le gâteau (le commerce des sacs à poussière est florissant),
la bêtise se disputent le terrain lorsqu'il tente de commercialiser son brevet.
Les Britanniques lui expliquent que si l'aspirateur pouvait être amélioré,
Hoover et Electrolux seraient déjà sur les rangs. Les Américains lui promettent
monts et merveilles, mais ne lèvent le petit doigt que pour tenter de
l'escroquer. En 1991, sous un déluge de dettes, la météo personnelle des Dyson accueille
son premier anticyclone : le Japon fait un triomphe au G Force, première version
de son aspirateur sans sac. En quelques mois, le Tout-Tokyo s'amourache de ce joujou
lavande et rose, qui s'arrache au prix de 1 800 euros.
La trêve arrive à
point nommé : James vient d'hypothéquer sa maison. Il lui faudra encore de
longs mois et quelque 5127 prototypes pour devenir le premier fournisseur en Grande
Bretagne et en France, et faire exploser le marché aux Etats-Unis, au Canada,
en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe continentale. Aujourd'hui, dans
le centre de recherche et développement de Malmesbury, un petit millier de
fidèles officient sur une gamme élargie. Aux aspirateurs de tout acabit on a
ajouté le Dyson Airblade, un sèche-mains dont l'air pulsé à grande vitesse
essuie en dix secondes, sans dessécher et pour 80 % d'énergie en moins, rendant
obsolètes les souffleries chaudes, surtout efficaces dans la propagation des
bactéries.
On a inventé
aussi (mais pas commercialisé pour l'instant) le Contrarotator, une machine à laver
à double tambour qui reproduit le lavage d'antan, un petit aspirateur à main
doté d'un moteur numérique gros comme un citron mais qui, à 104 000
tours/minute, tourne plus vite qu'un moteur de Formule 1 et, dernièrement, cet Air
Multiplier dont les Australiens sont déjà fous.
En tee-shlrt, jean
et baskets (il est recommandé d'oublier sa cravate au vestiaire), James Dyson
de son bureau surplombe le plateau de ses équipes marketing. En contrebas, les
différents laboratoires, où l'on entre plus difficilement que dans une centrale
nucléaire (le lecteur d'empreintes est de rigueur), testent à tour de bras, soumettant
les appareils à diverses tortures. Molestés, épiés, étouffés, écoutés, soumis à
l'humidité des tropiques ou à la chaleur des déserts, les prototypes en voient
de toutes les couleurs. Ils sont élaborés pour durer au minimum dix ans, et
leurs pannes doivent être exceptionnelles.
Il faut au
service après-vente soixante-douze heures pour collecter un appareil défectueux
et le reporter, réparé, à son propriétaire. Soucieux d'écologie, Dyson a mis
son entreprise à l'heure des économies d'énergie en créant des aspirateurs qui,
pour 650 watts, sont aussi performants que leurs frères de 2200 watts. Il a aussi
tenu à ce que l'innocuité bactériologique de leur aspiration soit réelle et
entretient à cet effet, dans son laboratoire de microbiologie, un bel élevage
d'acariens, que des scientifiques, vêtus comme des cosmonautes, nourrissent de blancs
d'œufs et de biscuits pour chiens.
Fidèle au
principe selon lequel lorsqu'un appareil est vraiment meilleur que les autres
les consommateurs le plébiscitent, Dyson sait que seul un département recherche
et développement de pointe assurera la santé d'une entreprise dont il détient
l'intégralité du capital. Pour être sûr de disposer des ingénieurs les plus
performants, il va chercher les siens à la sortie de l'école et accorde à cette
jeune équipe, dont la moyenne d'âge est de 27 ans, tout loisir de laisser
parler son imagination.
Créée en 2002, la
fondation qui porte son nom vient renforcer cet esprit novateur en faisant
entrer dans les écoles un matériel pédagogique gui permet aux enfants de
réfléchir aux objets de demain. Un futur que James Dyson ne redoute pas. Une partie
des brevets du Root Cyclone tombera dans le domaine public d'ici à quelques
années, mais cette perspective ne l'affole guère. « Nous déposons chaque année
plus de 190 nouveaux brevets », déclare-t-il avec un sourire irrésistible.
Y a-t-il
certaines inventions qui le rendent jaloux? Le regard bleu myosotis de Dyson se
fait plus vif. Découvrir la vulcanisation du caoutchouc lui aurait bien plu, et
il aurait aussi aimé être dans les bottes de Joseph Monier, le jardinier de
Saint-Quentin –la-Poterie, lorsqu'il inventa le béton armé ... Mais ne comptez
pas sur lui pour vous parler de ce qu'il a sur son établi : ici, les projets
sont top secret.
Si la curiosité
est bannie, du moins peut-on formuler une requête. Après l'aspirateur sans sac et le ventilateur sans
pales, pourrait- il donner à la gent féminine le vernis à ongles sans écaille, à
savoir un appareil qui sèche le rouge en un tournemain ? Il rit, dit qu'il va
voir ce qu'il peut faire. Le pire c'est qu'on le croit: cet bomme-là est
capable de tout.
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